En préambule à la rencontre autour de la réédition de Contre-pouvoir d'Yves Velan, nous publions ci-dessous plusieurs extraits du mensuel Tout va bien sur les liens entre littérature et engagement politique.
Courant 1976, le mensuel de contre-information et de lutte Tout va bien publie une série de textes d'auteurs et d'autrices romandes sur la question des liens entre littérature et l'engagement politique. Six autrices et auteurs se prêtent au jeu proposé par le journal: Alexandre Voisard, Anne Cuneo, Lorenzo Pestelli, Anne-Lise Grobéty, Edgard Tripet et François Cochet, puis, le journal publie une synthèse.
Dans cette synthèse conclusive, le rédacteur ou la rédactrice anonyme de Tout va bien écrit: «Tout cela n’est que l’amorce d'un discours. Nous pensons qu'il doit se développer, que d’autres (créateurs ou non) doivent prendre la parole dans cette réflexion, car "la notion même d'artiste est le produit de notre société morcelée pour laquelle n'est art que ce qui répond à certains critères bien précis, souvent académiques et plus souventencore marchands." (Anne Cuneo, Le piano du pauvre)». Or, c'est bien ce même «petit trousseau de questions» qu'Yves Velan agitera deux ans plus tard dans Contre-pouvoir.
Ce n'est pas un hasard si l'appel à contribution de Tout va bien est lancé en 1976. Nous sommes une année après la parution du Rapport de la commission fédérale sur la culture, communément appelé Rapport Clottu du nom du président de la commission, Gaston Clottu. Il s'agit d'une vaste enquête sur la culture en Suisse commanditée par le conseiller fédéral Hans-Peter Tschudi.
Yves Velan estime que ce rapport a rendu nécessaire et urgente une réflexion sur les rapport de la littérature et de la politique. C'est cet «événement» (le rapport) qui déclenche l'écriture de Contre-pouvoir:
Mais s’est produit cet événement dont j’ai mentionné le fait et l’urgence, soit le Rapport de la Commission Fédérale sur la Culture, etc. économisé en Rapport Clottu. Désormais le problème est explicite. Ce passage du non-dit au dit, des questions pendantes, est un aérolithe majeur. Pour la première fois, cet œil trouble mais sans paupière : le politique, s’est tourné vers les artistes ; plus : il a décidé de prendre les arts en charge, et fort sérieusement, je le dis sans ironie.
En 1971, la fondation du Groupe d'Olten, scission de la Société suisse des écrivains, a matérialisé une division politique. Le Rapport Clottu explique que:
la Suisse alémanique a été, pendant quelques années importantes pour le destin de l'Europe, une terre de liberté pour la culture d'expression germanique. Nos écrivains et nos éditeurs ont su tirer une leçon de cette situation privilégiée. Mais tandis que les uns avaient tendance à se serrer autour des valeurs traditionnelles du pays, d'autres usaient de la liberté offerte dans un sens plus critique. Cette opposition entre une littérature satisfaite du statut politico-social de la Suisse et une littérature plus engagée dans une réalité qu'elle voudrait voir en mouvement, s'est fortement accentuée dans les années d'après-guerre. Certains écrivains méconnus de la période précédente - des Friedrich Glauser, des Robert Walser, des Albin Zollinger, pour n'en citer que quelques.uns - trouvent chez des Max Frisch et des Friedrich Dürrenmatt des prolongements qui se radicaliseront encore chez les meilleurs représentants de la jeune génération. L'opposition entre ces deux conceptions de la littérature prendra l'allure d'un conflit de générations, et se marquera dans les faits au moment de la scission de la Société suisse des écrivains en 1970.
S'agissant de la littérature en langue française, le même rapport fédéral précise:
La littérature française, elle, est beaucoup plus indifférente en ce qui concerne les productions culturelles qui n'émanent pas de Paris, et le public romand demeure encore assez soumis à une forme d'impérialisme culturel français. Entre l'attraction du centre littéraire du monde francophone et le repli quasi insulaire sur la Suisse romande - où, par-dessus le marché, le cloisonnement cantonal demeure très vivace - les lettres romandes ont eu un chemin difficile à trouver. A la suite de C.F. Ramuz, la défense de l'esprit du lieu a pu paraître à ceux qui n'avaient pas émigré une vertu combattante, tandis que d'autres se réfugiaient dans une intériorité plus ou moins contemplative. Il n'en reste pas moins que les tensions relevées en Suisse alémanique se manifestent également aujourd'hui, d'une façon plus tardive, en Suisse romande.
On le voit, la série proposée par le mensuel Tout va bien s'inscrit dans un contexte d'appréhension de la littérature sous un angle politique. La question posée de l'engagement est bien dans l'esprit du moment.
Nous reproduisons ici les textes dans l'ordre de leur parution.