Le 15 mai prochain, le corps électoral genevois sera appelé à se prononcer sur une réforme du Cycle d'orientation. Nous conservons un certain nombre d'archives relatives à des luttes autour de ce degré d'enseignement. On en trouvera ici une liste commentée.

Institué à Genève en 1962 sous l'impulsion du conseiller d'Etat socialiste André Chavanne, le Cycle d'orientation regroupe tous les élèves sortant de l'école primaire jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire fixée à l'âge de 15 ans. Charles Magnin1, puis Chantal Berthoud2 ont montré que cet élargissement de la scolarité pour toutes et tous était en germe tant dans les milieux politiques que dans les milieux pédagogiques, dès les années 1920, soit bien avant sa mise en oeuvre effective dans les années 1960.

En tant qu'il cristallisait l'espoir d'une plus grande égalité sociale face à la scolarité, le Cycle d'orientation a très tôt été chargé d'une signification politique qui allait sans doute bien au-delà de ce que ses promoteurs avaient envisagé. Une brochure, intitulée Réformisme et cycle d'orientation, paraît ainsi en 1971 aux éditions Adversaires. Élaboré par une «commission d'enseignants des éditions Adversaires», cette brochure, dont les auteur.es bondissent allègrement d'une citation de Lénine à des références aux premières études sur la reproduction sociale de Pierre Bourdieu, pose d'abord l'impossibilité d'une transformation «réformiste» des inégalité scolaires:

L'enseignement public ne peut donc pas être transformé par des luttes parlementaires au profit direct de la classe exploitée. L'école n'est pas le lieu où 1'on dispense un savoir neutre qui serait un gage d'émancipation pour le prolétariat. [...] Il est donc illusoire de vouloir «démocratiser», ainsi que le veulent les réformistes, une structure dont la fonction même est de consolider une division de la sociéte en classes antagonistes. [...] En réalité, les retardés scolaires sont en échec parce qu'ils sont fils de la classe ouvrière et parce que la classe ouvrière est aliénée idéologiquement. La bourgeoisie conserve, pour elle-même ou pour ses serviteurs les plus immédiats, les moyens culturels donnant une maîtrise de l'appareil de production et de ses problèmes historiques. Une des fonctions de l'idéologie dominante est précisément d' empêcher que la classe ouvrière comprenne sa situation de classe dans le mode de production capitaliste. Le prolétariat est donc diminué économiquement et culturellement et ses enfants sont défavorisés avant et pendant leur scolarité.

Dans cette logique, les personnes qui mettent en oeuvre le Cycle d'orientation en 1961 sont vues comme favorisant, sans le vouloir ou sans le savoir, les desseins de la bourgeoisie dans une nouvelle phase du capitalisme:

Partisans d'une société démocratique et progressiste, mais en fait artisans des mutations indispensables du capitalisme monopoliste, les socialistes défendent le principe d'une école «en réforme permanente» qui se sait «perfectible» et «entend se maintenir dans un climat de mutation dynamique!»

Après avoir rappelé que l'origine de la volonté d'instituer un cycle secondaire de deux ans entre 12 et 14 ans remontait un projet de 1927 dû à un autre conseiller d'Etat socialiste, André Oltramare, la brochure propose un bilan des dix premières années d'existence de l'institution:

L'examen du tableau I, p. 19, montre clairement que le 70% des enfants dont les parents exercent une profession de «dirigeants» fréquentent la section latino-scientifique, alors que 21% seulement des fils ou filles de manoeuvres sont inscrits dans cette section.

Ce bilan, dressé essentiellement sur la base de statistiques officielles, confirme en quelque sorte l'impossibilité annoncée plus tôt dans le texte d'un changement en profondeur des mécanismes de la reproduction sociale. Les auteur.es de la brochure en appellent donc à l'ouverture d'une lutte politique, extra-parlementaire, qui doit s'élargir en direction des élèves eux-mêmes et des parents de ces derniers. Une récente grève des collégiens leur apparaît comme une préfiguration de cette lutte politique. Les auteur.es appellent en outre à des «pratiques de résistance» par lesquelles les enseignants devront refuser «par des actions exemplaires, d'assumer dans le sens de la bourgeoisie: le rôle sélectif de l'école, son contenu idéologique (refus du «neutralisme!»), sa fonction répressive.» Cependant, la rupture avec le système ancien ne se produira qu'avec la révolution socialiste, rappellent enfin les auteur.es:

Mais seule la société de transition et plus tard la société socialiste permettra de poser les bases d'une future résolution des contradictions qui sont irréductibles au sein de la société capitaliste. Il n'est pas question de substituer la spéculation à la pratique révolutionnaire mais nous pouvons prévoir que la tåche principale de la société de trans ition dans le domaine de l'enseignement consistera à intégrer l'éducation à la production. En effet, le dépass ement pro gr essif de la contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel aura pour conséquence la création d'écoles radicalement différentes, intégrées à la société et dans lesquelles le savoir théorique ne sera plus dissociée de la pratique.

Dans un article de 1970 pour le périodique français Politique Hebdo (26 novembre 1970) Daniel Hameline, qui deviendra titulaire de la chaire de Philosophie de l'éducation et professeur d'histoire des idées pédagogiques à l'Université de Genève (1982-1997), suit Monique S[échaud] dans son enseignement à une classe de section Pratique du Cycle d'orientation genevois. Il se montre, en conclusion, moins optimiste que les auteur.es de la brochure des éditions Adversaires:

Rien n'est possible si la répression du système sur les élèves n'est pas levée: liberté d'apprendre! Mais la revendication libertaire est vaine si cette liberté n'est pas en définitive une liberté pour apprendre. En ce dilemme, il est clair que le socialisme trouve une de ses interrogations les plus pressantes, quand il lui faut imaginer le jour ù son tour sera venu d'assumer le système d'éducation et d'y réaliser ses objectifs.

En janvier 1975, c'est Tout va bien: mensuel de contre-information et de luttes qui consacre un dossier au Cycle d'orientation sous le titre «C'est la bourgeoisie qui avait besoin du CO». En attendant la «société de transition», le dossier esquisse «un début d'offensive pédagogique possible» en présentant la «pédagogie institutionnelle».

Sept ans après la brochure des éditions Adversaires, c'est une autre forme, plus ludique, qui est retenue par un groupe d'enseignantes et d'enseignants du Cycle d'orientation. Tournant en dérision les nombreuses expérimentations dont le secondaire obligatoire fait l'objet, Madeleine Florey et Raymond Joly vont produire une édition pirate du périodique CO Parents, journal publié par la Direction générale du Cycle d'orientation à destination des parents d'élèves. La forme du journal est scrupuleusement respectée, mais les articles annoncent des réformes tout à fait fantaisistes: le Cycle d'orientation du Marais serait converti à la méthode de Célestin Freinet privilégiant visites et observation et abolissant les notes au profit d'autoévaluations; le responsable des psychologues scolaires annonce l'engagement de «bioénergéticiens, de spécialistes des massages et des ondes alpha».

Cette pièce tout à fait étonnante a été versée par l'une de ses auteure, Madeleine Florey, en même temps qu'une très riche documentation sur l'enseignement au Cycle d'orientation.

On trouvera sous ce lien une liste des ressources ayant le mot clé Cycle d'orientation dans notre catalogue de bibliothèque. Parmi ces ressources, on notera particulièrement:

  • La vie dans les grands ensembles ; La formation : deux cycles de conférence, forum et débats donnés à l'Aula de l'école des Tattes et [...] / Centre social d'Onex et Centre culturel de Caroll (Lancy), 1969, AC Bibliothèque, Brochure 883. Avec notamment une conférence de Robert Hari, directeur du Cycle d'orientation, sur «Orientation ou sélection : les intentions et les limites du Cycle d'Orientation»
  • Les réformes-bidon dans les Collèges ; L'orientation - sélection permanente du Cycle ; L'exposition - illusion du DIP et de l'Office de formation professionnelle / Ecole et lutte de classe, 1972
  • Réflexions sur l'école et la réforme II / Commission pédagogique de la F.A.M.C.O., 1977, AC Bibliothèque, Brochure 734. AC Bibliothèque, Brochure 958.
  • Les enjeux de la réforme II / Groupe VPOD Enseignement, 1977. AC Bibliothèque, Brochure 959.

Le traitement en cours des archives d'Eric Decarro devrait mettre au jour des ensemble de documents relatifs au luttes du corps enseignant dans les années 1990. Le fonds du Centre de contact Suisses Immigré contient également d'important ensembles sur la mise en oeuvre du droit à l'éducation et du droit à la formation professionnelle pour toutes et tous.

On signalera enfin, même si elle ne se limite pas au secondaire obligatoire l'enquête du Mouvement populaire des familles (MPF) intitulée L'école en question: un millier de familles s'expriment et publiée en 1978. Ce sondage auprès des foyers romands, dont la méthode est inspirée par une autre enquête du MPF intitulée Aisance et privations, pose la question des déterminants sociaux de la réussite scolaire vus par les parents. Charles Heimberg3 a donné de cette enquête une analyse détaillée dans les Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier (2020/36).

Notons encore que, pour poursuivre la réflexion, on peut se rendre le 26 avril prochain à 20h. à une table ronde organisée par l'association Changeons l'école à laquelle interveindrons plusieurs chercheuses et chercheur de l'Université de Genève autour du thème «Classer les élèves ou les mélanger? Homogénéité ou hétérogénéité?» (Espace Vélodrome, 62 chemin de la Mère-Voie, 1228 Plan-les-Ouates). Télécharger le programme


  1. Charles Magnin, Le parlement genevois et l'égalite d'accès à l'instruction (1885-1950), Thèse de doctorat, Université de Genève, Faculté des lettres, 1997 et «Éléments d'une histoire de la lutte pour l'égalité sociale devant l'école en Suisse romande entre 1924 et 1961» in Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier en ligne n°16, 2000, pp. 57-76. 

  2. Chantal Berthoud, Le cycle d’orientation genevois. Une école secondaire pour démocratiser l’accès à la culture 1927-1977‪, Genève, Infolio éditions, 2016, 656 p. Recension dans Revue française de pédagogie

  3. Charles Heimberg, «Un millier de parents questionnent l'école: l'enquête du Mouvement populaire des familles» in Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier en ligne, n°36, 2020, pp. 77-90. 

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